Retour sur le lancement de Sens9

Mardi 6 décembre, notre association a réuni plus de 80 personnes de l’écosystème économique clermontois à Turing22, pour son lancement public. Retour sur deux heures de présentations et de retours d’expérience autour des entreprises engagées pour la résilience territoriale.

Vous retrouverez dans cet article les synthèses et, le cas échéant, les diapositives projetées par les intervenants de la soirée. Dans l’ordre d’apparition :

Texte rédigé par Damien Caillard, Tikographie
Tous crédits photo : Fanny Reynaud

Introduction

Marie Forêt, Virginie Rossigneux et Jean-Luc Berlot représentent l’association Sens9 et animent la soirée. Ils reviennent brièvement sur l’ambition de Sens9, en lien avec l’urgence environnementale et l’opportunité d’une réponse locale coordonnée.

Ils évoquent également la première année de travail de l’association, créée en novembre 2021 avec le soutien de Clermont Auvergne Métropole : entretiens « diagnostic » avec des entreprises locales, puis lancement à l’automne 2022 d’un premier webinaire et d’une réunion de préfiguration des Clubs thématiques.

Pour cette soirée de lancement organisée en partenariat avec la marque Auvergne et hébergée par Turing22, les animateurs remercient tous les intervenants – parfois venus de loin – pour leur présence. Les présentations qui vont suivre permettront d’avoir une meilleure image autant de l’urgence écologique que du rôle des entreprises dans la réponse à élaborer, et de l’enjeu territorial dans la métropole clermontoise.

De gauche à droite : Jean-Luc Berlot, Marie Forêt et Virginie Rossigneux
Voir la présentation de la soirée – hors interventions spécifiques (en PDF)

Vincent Cailliez et le changement climatique dans le Massif Central

Vincent Cailliez travaille pour le projet AP3C [Adaptation des Pratiques Culturales au Changement Climatique], porté par le SIDAM qui est un regroupement des chambres d’agriculture du Massif Central.

Il étudie spécifiquement la manière dont le changement climatique affecte les territoires du Massif Central à l’horizon 2050. Ce travail est nécessaire car il y a peu, ou pas, d’autres territoires qui appliquent les mécanismes scientifiques développés par le GIEC en local. « Le GIEC répond au ‘pourquoi’ du changement climatique global, mais peu au ‘comment’ local » explique-t-il.

Le changement climatique appliqué en local

Le dispositif AP3C auquel il collabore s’attache donc à décrire le phénomène observé localement, avec plusieurs dizaines de points de relève sur le Massif Central. Elles donnent lieu à près de 10 000 projections locales à 2050, avec une précision de 500 mètres. « Et les projections sont compatibles avec les trajectoires constatées sur le terrain » précise Vincent Cailliez. En outre, « l’échéance 2050 [qui est sa base de travail, NDLR] n’est pas vraiment impactée par nos hausses ou baisses futures d’émissions de gaz à effets de serre, du fait de l’inertie du climat ».

Vincent Cailliez avertit néanmoins d’une inflexion à la hausse : « C’est une accélération de 20 à 30% par rapport aux prévisions antérieures ». Le dérèglement climatique semble donc s’accélérer depuis quelques années : émissions de méthane en forte croissance, hausse « rapide et virulente » d’origine biologique issue de la rétroaction de la biosphère : « c’est une représentation très probable du point d’emballement », conclut-il sur cette partie.

Quels constats et tendances sur le Massif Central ?

La hausse des températures entre 2000 et 2050 est estimée à 1,6 – 2 degrés sur le Massif Central, ce qui est très important (un facteur x1,5 par rapport aux prévisions globales). De plus, la précision des projections climatiques permet de différencier les effets liés à l’altitude ou à l’orientation.

Ainsi, « les vallées encaissées et exposées à l’ouest – avec le soleil de l’après-midi – seront plus touchées » que les autres versants, avertit Vincent Cailliez. Néanmoins, il ajoute que « les reliefs atténuent beaucoup la hausse des températures, en moyenne saisonnière estivale ». Et en hiver ? « C’est la désagrégation de la couche neigeuse qui sera la plus notable.« 

Quant aux pluies, le volume estival sera faiblement impacté sauf au sud-ouest du Massif Central. En revanche, avertit le climatologue, « les précipitations seront plus concentrées, avec de plus en plus d’averses orageuses. » Comment « valoriser » ces pluies ? Eviter qu’elles ne ruissellent sur un sol asséché ? A l’inverse, en hiver, on observera une diminution globale, « ce qui posera la question de la ‘recharge hivernale' » pour Vincent Cailliez.

Il évoque pour conclure la demande évaporatoire des végétaux : il prévoit une hausse importante et « un stress hydrique aggravé pour les végétaux dans leur ensemble, et surtout en plaine de type Limagne » avec un bilan hydrique globalement négatif. A noter que le dispositif AP3C complète les projections climatiques par une série de fiches techniques en agronomie destinée aux agriculteurs.

Conclusion de Vincent Cailliez : « l’Auvergne est néanmoins ‘plutôt chanceuse’, face au dérèglement climatique, par rapport à d’autres régions de France comme le Sud-Ouest ».

Voir la présentation de Vincent Cailliez (en PDF)
Pour aller plus loin : l’entretien avec Vincent Cailliez sur Tikographie

Marie Forêt et la biodiversité, autre grande crise environnementale

Sortant quelques minutes de son rôle de co-animatrice de Sens9, Marie revêt ses habits de spécialiste en biodiversité pour insister d’abord sur les services que nous rend la nature : nourriture, matériaux de construction et autres matières premières, épuration de l’eau et de l’air, cadre de vie pour travailler ou se ressourcer… Le rôle de la nature, et donc de la biodiversité qui la maintient, est capital pour la survie de l’humanité, tout autant que le climat (les deux étant intimement lié).

Or, la crise actuelle de la biodiversité – on peut même parler d’effondrement – est souvent peu conscientisée par les responsables politiques et économiques. Les choses changent peu à peu, mais la focale mise sur le climat fait qu’un rattrapage est nécessaire. « Ce sont l’équivalent de huit lacs Pavin qui sont artificialisés chaque année dans le département du Puy-de-Dôme », avertit Marie. La destruction et la réduction des espaces naturels au profit des activités humaines est le premier facteur sur lequel elle insiste.

Autre facteur de cette crise de biodiversité : la surexploitation et la chute drastique des populations d’êtres vivants. Mais aussi « les espèces envahissantes, comme le phylloxéra que nous avons bien connu ici, [qui] peuvent impacter la physionomie de la faune ou de la flore dans une région comme l’Auvergne et complètement modifier nos activités » résume Marie à titre d’exemple.

Que faire ? « Prendre conscience de cette crise de la biodiversité … et de son rôle dans nos vies, notamment pour nos entreprises » est, selon Marie, la première mesure à adopter. « Envisager notre fonctionnement vis-à-vis de la nature » permet ainsi de ne jamais se déconnecter de la biodiversité et des services rendus par la nature. « Ayons une vision complète de tous nos impacts sur notre territoire » conclut Marie.

Gérard Roth, sur la crise énergétique

Grâce à son expérience internationale – il a présidé jusqu’en 2015 les filiales d’EDF en Europe Continentale – Gérard Roth nous livre son analyse de la crise environnementale et énergétique actuelle tout en précisant qu’il s’exprime à titre purement personnel. Concernant l’environnement « Le salut ne viendra pas seulement des grandes négociations internationales ! » prévient-il d’emblée. Quand les COP, par exemple, ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les moyens financiers à allouer et qui soient à la hauteur des enjeux (notamment lors de la dernière COP27 en Egypte), « il faut développer des initiatives locales pour et par les entreprises, les collectivités et les associations. Car c’est non seulement une question régalienne mais aussi citoyenne ! » insiste Gérard Roth. « Et il faut adapter les modèles économiques des entreprises et des territoires aux nouveaux facteurs de disruption ».

L’expert revient ensuite sur les détails de la crise énergétique. Le pétrole et le gaz rebondissent suite à la pandémie de Covid-19, mais leur production est impactée autant par la guerre en Ukraine, l’embargo sur l’Iran (et récemment sur le Vénézuela) et les limites de production imposées par l’OPEP.

Sur la production électrique, il met en perspective les arrêts de centrale nucléaires récents : « la posture politique, depuis près de 20 ans, consistant à avoir jusqu’à récemment le nucléaire honteux et à vouloir baisser sa part dans le mix énergétique a n’a pas renforcé la filière et ses sous-traitants. Mais d’autres facteurs expliquent les arrêts de centrale actuels : certains sont liés aux rechargements de combustible décalés durant la période de Covid, d’autres sont liés aux arrêts pour maintenance lourde. Une question est aussi à se poser sur le principe de précaution qui est absolument nécessaire, et les autorités de sûreté nucléaire y veillent, mais il faut sûrement aussi réaffirmer la confiance dans les exploitants.

Enfin, Gérard Roth revient sur les ENR [Energies Renouvelables] : il estime que cette solution est très intéressante pour la baisse de l’impact carbone et aussi pour l’auto-production, « mais le problème des ENR c’est leur l’intermittence ». En complément des ENR, il est selon lui nécessaire de maintenir en activité des centrales au gaz ou hydrauliques à démarrage rapide, « qui ne tournent que quelques centaines d’heures par an mais doivent être tout le temps être prêts à démarrer, ce qui induit des coûts importants ».

Une crise de l’énergie qui risque de durer

D’abord parce que les facteurs de tension géopolitiques jouant sur les prix du gaz et du pétrole risquent de ne pas se stabiliser rapidement, d’autre part parce que la réorganisation de la chaîne gazière pour se défaire de la dépendance russe nécessite des investissements importants et des renégociations contractuelles qui prennent du temps.

Concernant l’hiver à venir Gérard Roth rappelle que la conjonction de la baisse de la production nucléaire, la montée des prix du gaz met le système sous forte tension, « même si la combinaison de l’importation d’énergie, de la baisse volontaire de la consommation et des efforts des industriels devrait aider à passer cet hiver et espérons-le à éviter les coupures d’électricité. Mais cela dépendra aussi de la température et des pics de consommation qui seront observés cet hiver ».

Diapositive projetée par Gérard Roth durant la soirée. Elle montre clairement l’instabilité du marché après le point de rupture du premier semestre 2022.

Le gouvernement a mis en place un « bouclier tarifaire » pour les particuliers et les entreprises, ce qui lui coûtera de l’ordre de 40 milliards d’euros en 2023. « Mais il faudra tenir jusqu’en 2027 !  » prévient Gérard Roth. Soit une mobilisation globale de 110 à 170 milliards d’euros pour l’Etat sur la période 2021-27… ce qui a valu un avertissement du FMI à la France.

Il rappelle aussi que la tension sur les prix des matières premières, du pétrole et du gaz alimente l’inflation. Selon la Banque de France, « la moitié de l’inflation est importée« . La lutte contre l’inflation conduit les banques centrales à relever leurs taux directeurs et donc à une hausse mécanique du crédit ce qui provoque une recrudescence des défaillances d’entreprises au moment où elles doivent aussi commencer à rembourser les crédits PGE et s’endetter pour faire face à des besoins de trésorerie à court terme.

Une nécessité d’initiatives locales et citoyennes

Pour conclure, Gérard Roth reprend sa thématique énoncée en introduction : la prise d’initiative au niveau des territoires. « Les situations de crise sont aussi des opportunités » estime-t-il. « Et il faut faire jouer la solidarité à l’échelon local« . Du moment que l’on prend conscience de l’importance et de la durée probable de la crise, il faut donc activer « les réservoirs de savoir et d’innovation dans les territoires » selon l’expert.

Sur la réduction de la consommation, Gérard Roth insiste sur l’action possible à tous les leviers : individuel – les mesures d’économie, d’isolation, de systèmes de programmation, de révision parfois de la puissance souscrite. Mais aussi au sein des entreprises : « modifier l’organisation du travail, développer le télétravail, mutualiser les locaux » sont des solutions intéressantes. Egalement, « investir dans les process industriels, moderniser. De nombreux dispositifs d’aide au niveau européen, nationaux et régionaux sont à activer ! » encourage Gérard Roth. Enfin, le numérique et la data sont des moyens très utiles pour agir de manière fine et efficace.

L’autre grand levier réside dans le développement de projets locaux de production énergétique. Là, Gérard Roth appelle à de vrais partenariats de territoire : « entre acteurs locaux, agriculteurs, artisans, propriétaires de toitures en zones d’activité, opérateurs de mini réseaux de chaleur, grandes surfaces… » liste-t-il, de manière non exhaustive. « Plein de projets sont montés en France par des petites entreprises, pour leurs propres besoins ! »

Et, logiquement, il estime qu’il faut « participer aux ateliers Sens9 pour se renseigner, échanger et devenir acteurs dans le domaine de l’énergie« .

Nature, vie et technologie 

Sa conclusion porte sur la nature, le respect de l’environnement et des cultures. Fils de paysan alsacien, il confesse avoir vu mourir des amis agriculteurs du cancer avant 60 ans à cause de leur exposition répétée aux épandages de pesticides sans protection individuelle. « Il faut une agriculture respectueuse du vivant » professe-t-il, « avec des circuits courts, un développement de jardins communautaires et des progrès dans l’autonomie alimentaire. » « Parler environnement, c’est parler de vie tout court »

Mais la crise environnementale ne doit pas faire abstraction de la technologie et de la science. « Innovations et technologies sont trop souvent opposées à écologie« , regrette Gérard Roth. « Pourtant, elles aident à réduire nos impacts environnements, à mieux utiliser nos ressources et à renforcer notre productivité ». Selon lui, il faut favoriser la mise en réseau des acteurs locaux de l’innovation, au niveau des universités, des entreprises, des acteurs sociétaux. « Ce seront les vecteurs de notre transformation future, si on parvient à se mettre autour de la table. »

Geoffrey Volat et les ingrédients de la résilience territoriale

Directeur du CISCA – le Centre d’Innovation Sociale Clermont-Auvergne – Geoffrey estime que « la crise globale nous pose la question de notre propre humilité ». Autrement dit : « ll nous faut remettre en question ce qui nous semblait absolument certain ». C’est, selon lui, une question de démocratie et donc de gouvernance : il faut, pour cela, s’ouvrir aux compétences et aux connaissances autour de nous.

Le CISCA travaille aujourd’hui avec de nombreux territoires puydômois sur les « marqueurs » de la résilience territoriale. Geoffrey les énumère :

  • Un « haut niveau d’information » associé à « la capacité à traduire cette dernière pour tous les publics, et à la rendre accessible » – Geoffrey cite notamment le monde des collectivités et celui de la recherche ;
  • « Parvenir à transformer cette information en communication pour construire du sens » et entraîner une transformation des structures – notamment des entreprises;
  • Un cadre légal « en guise d’appui, par exemple le Plan Communal de Sauvegarde pour les collectivités. » Ces cadres permettent de prendre des démarches proactives;
  • Des « modèles économiques de territoire : ESS, innovation sociale, Pôles Territoriaux de Coopération Economique » ou encore l’outil du « métabolisme territorial », qui consiste à analyser les flux entrant et sortant;
  • Une capacité à coopérer entre collectivités, acteurs économiques, laboratoires, citoyens… « pour cela, il faut structurer des organisations coopératives. » estime Geoffrey Volat;
  • Enfin, garantir une forme de justice sociale, « être toujours inclusif quand il s’agit de réorienter des modèles de société »

Ces piliers sont résumés dans la boussole d’action du CISCA, sur laquelle se base le travail de Sens9 :

Pour aller plus loin : l’entretien avec Geoffrey Volat sur Tikographie

Sébastien Canu fédère un collectif multi-territorial

A travers sa société Periscope, dont il est un des directeurs associés, Sébastien applique une logique de résilience dans sa stratégie d’entreprise : « Pour moi, la résilience, c’est la capacité à ne pas se résigner » affirme-t-il. A la tête d’une équipe de 60 personnes, il cherche constamment à faire preuve d’une « capacité à fédérer un collectif partout en France, et notamment sur l’Ile de la Réunion ! ».

Cette approche multi-territoriale permet à la PME de poursuivre son développement avec une moindre contrainte géographique. Il est rendu possible par l’engagement affiché de Periscope : accompagnement de thématiques telles que le tourisme solidaire et responsable, les entreprises à impact, le travail avec des ONG ou encore les médias. « Agir, c’est possible » c

Henri Gisselbrecht fait le point sur l’accompagnement métropolitain des entreprises

Vice-président à Clermont Auvergne Métropole en charge du développement économique, Henri Gisselbrecht insiste sur cette compétence récente – elle date de 2018, avec un poste de vice-président créé en 2020. « Faire concilier développement économique et transition énergétique » résume son action.

« Comment faire de la transition énergétique et du développement durable un atout pour les entreprises ? », formule-t-il autrement. L’objectif est d’apporter une différenciation en faveur des entreprises locales. Henri Gisselbrecht évoque également les « entreprises citoyennes », en lien avec leur territoire.

Quelle méthode ? « Embarquer et co-construire cette politique avec les entreprises », affirme-t-il comme volonté. Il cite le dispositif de soutien aux professionnels dans le cadre de la future Zone à Faible Emissions, mais aussi le partenariat avec la CCI du Puy-de-Dôme sur la mobilité durable ou la gestion de l’eau. Et bien sûr le conventionnement avec Sens9 et la Chambre des Métiers pour les diagnostics environnementaux auprès des entreprises.

Plus en avant, il rappelle qu’une « étude prospective pour adapter la stratégie de développement économique aux impératifs de développement durable en entreprise » est en cours, et sera bientôt publiée. A titre d’exemple, Henri Gisselbrecht évoque l’enjeu du recyclage des matières premières pour la construction, ou encore le projet de charte de développement durable dans les Zones d’activité.

C’est même un engagement personnel qu’il affirme en disant : « je me bats pour que l’économie mais aussi le développement durable soient des idées fortes pour les élus de la Métropole ».

Pour aller plus loin : l’entretien avec Henri Gisselbrecht sur Tikographie

Emmanuel Bonnet promeut la redirection écologique

« Je voyais l’écologie comme quelque chose de magnifique … puis j’ai rencontré les limites planétaires ! ». Par cette introduction, Emmanuel Bonnet, enseignant-chercheur à l’ESC Clermont, évoque le côté « vertigineux » du changement que représente l’anthropocène. Cette ère géologique, dans laquelle nous nous trouvons, caractérise l’empreinte visible de l’action humaine sur l’environnement. Celle-ci est notamment liée à l’exploitation économique des ressources naturelles.

Emmanuel met ce principe en miroir de son rôle en école de commerce : « On transmet un savoir pour aider les entreprises à poursuivre, voire à développer leur existence. » résume-t-il. « Mais si on arrêtait de chercher à tout concilier ? »

Il développe alors l’approche de la redirection écologique, qu’il a étudiée avec ses collègues Diego Landivar et Alexandre Monnin. « Faire atterrir les organisations, publiques ou privées, avec des schémas de stratégie, des outils de gestion, des modes de projection… dans les limites planétaires », ces dernières caractérisant la zone où le « système-Terre » est viable. Actuellement, 6 des 9 limites identifiées ont été dépassées, précise-t-il.

La notion d’atterrissage, empruntée à Bruno Latour, est capitale dans cette approche. Elle consiste à reconnecter les organisations avec la réalité physique, qui est – donc – celle de l’anthropocène. « Pour y parvenir, il faut réfléchir aux situations dans lesquelles sont les organisations », résume Emmanuel Bonnet. « Partir des impasses, où les gens sont coincés, des dépendances aux ressources finies – et non pas des opportunités« .

Il insiste sur l’absence de volonté moraliste, mais aussi sur la vigilance face aux modèles économiques (business models) traditionnels, qu’il compare à « une photo de famille, quand tout va bien – le stéréotype du fonctionnement idéal ».

L’exemple qu’il développe est celui de la station de ski de Chastreix, dans le Sancy. « Chastreix illustre le cas d’acteurs économiques de la moyenne montagne confrontés au changement climatique, peut-être à la disparition de la neige ». Emmanuel Bonnet rappelle ainsi qu’il y a aujourd’hui plus de 200 « stations fantômes » sur le domaine skiable français.

Le problème est que « on n’est plus dans la carte postale ! Personne n’a envie d’aller dans ces stations, avec peu de neige, de la pluie, de la boue … « . Que faire alors ? Emmanuel et son équipe mènent une série d’enquêtes, sur « comment les personnes qui y vivent sont troublées par ce fait climatique. » Il affirme travailler sur le « back-office sombre, là où se trouve la finitude des ressources ».

Cela implique beaucoup d’arbitrages, potentiellement douloureux. Par exemple : moins d’eau disponible ? « Faut-il privilégier l’élevage ou la neige de culture ? Peut-on imaginer une solution intermédiaire ? » Le chercheur insiste pour sortir de la notion de « futur désirable » qui, selon lui, n’a plus de sens, et de travailler sur des « futurs plausibles » en prenant en compte les perceptions différentes des acteurs impliqués – autant ceux de la station que l’office de tourisme, les agriculteurs, les élus, les habitants, etc.

L’aboutissement serait « d’imaginer un modèle économique de territoire dans une nouvelle temporalité plus longue, moins urgente. » Emmanuel Bonnet se voit souvent opposer la volonté de « répondre à l’urgence climatique. » « Moi, je pense qu’au contraire il faudra du temps pour cela », rétorque-t-il. « Autrement dit, il nous faut apprendre à re-prendre du temps, ou à en perdre. » La temporalité de la recherche-action, notamment celle de la thèse en trois ans, peut être une piste à suivre.

Pour aller plus loin : l’entretien avec Emmanuel Bonnet sur Tikographie

Eric Duverger déploie la Convention des Entreprises pour le Climat

Il a porté et animé une année de formation et de sensibilisation de 150 dirigeants d’entreprises françaises aux enjeux du dérèglement climatique : Eric Duverger, co-fondateur et président de la Convention des Entreprises pour le Climat [CEC], passe en « phase deux » : la dimension territoriale.

Il résume d’abord les principaux enseignements de la CEC : « on est tous des citoyens concernés, mais il y a le fameux ‘triangle de l’inaction' » où, en principe, acteurs publics, entreprises et citoyens se regardent en chien de faïence pendant que le dérèglement environnemental s’accentue. « Et si les entreprises débloquaient ce triangle de façon surprenante ? C’est l’ambition de la CEC ! » affirme-t-il. « Cela se fera en étant plus volontaristes que les attentes politiques ou sociétales ».

Pour y parvenir, il a mis en place une association basée à Billom, près de Clermont, qui a réuni 150 entreprises de toutes tailles, tous secteurs et tous territoires – 80 étant hors de l’Ile de France. Ces participants représentaient 350 000 collaborateurs pour 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Entre 2021 et 2022, les représentants de ces structures – principalement les chefs d’entreprise – ont formé un collectif de la transition. « Parce que le ‘change management’ part d’en haut », selon Eric Duverger.

En binôme avec un planet champion – qui peut être leur responsable RSE interne – et accompagnés par les 70 bénévoles de la CEC, ces chefs d’entreprise ont participé à une série d’événements et d’ateliers. « Que faire quand on est coincé dans le ‘business as usual’ ? » résume Eric Duverger. Pour y répondre, il faut cocher trois cases : « être plus informé, équipé pour la transformation de son business model, et personnellement engagé ».

Le travail entre pairs tout au long de la CEC, soit 12 jours pleins répartis sur dix mois, a permis de produire 150 « feuilles de route ». L’intelligence collective, les interventions d’envergure (notamment Valérie Masson-Delmotte du GIEC ou encore la ministre Barbara Pompilii) visaient à « provoquer un sursaut » et à « renverser les modèles d’affaires », selon Eric. « Il faut même aller au-delà du contributif ou du responsable, jusqu’au régénératif ! » Pour le président de la CEC, la RSE n’est donc plus une réponse suffisante.

Enfin, ces 150 feuilles de route ont été remises au gouvernement. Mais Eric Duverger insiste : « c’est par les entreprises que tout va se débloquer ».

Voir la présentation d’Eric Duverger (en PDF)
Pour aller plus loin : l’entretien avec Eric Duverger sur Tikographie

Fabien Marlin présente la CEC Massif Central

Quid de la « phase deux » évoquée plus haut ? « Maintenant, amplifier [la CEC] en local », résume Eric Duverger. La CEC commence donc à se décliner sur les territoires français, en parallèle d’une prise de dimension européenne mais aussi thématique (monde politique, cabinets de conseil, financiers…)

Fabien Marlin, co-porteur du projet de CEC Massif Central (en cours de montage) prend la parole brièvement pour nous donner quelques informations : il s’agira d’adapter le modèle de la CEC nationale au territoire du Massif Central, avec une identité culturelle forte. L’objectif est de réunir, courant 2023, 60 entreprises et 120 participants autour de ce projet. A suivre, donc.

Rachid Cherfaoui, pionnier des entreprises de territoire

Le dernier grand retour d’expérience de cette soirée Sens9 est proposé par Rachid Cherfaoui. Originaire de l’Oise, il y a créé en 2004 la Maison de l’Economie Solidaire [MES], une SCIC [Société Coopérative d’Intérêt Collectif] de 400 personnes très active sur les dimensions d’insertion, de solidarité et d’écologie. Il est également président de l’Institut Godin à Amiens, centre de recherche sur l’innovation sociale.

Il reconnaît en introduction que le territoire du Puy-de-Dôme bénéficie d’une bonne dynamique pour sa transition : « il y a la volonté d’institutions publiques, des expériences, quelques personnes – que j’ai pu rencontrer – qui voient le ‘coup d’après’ dans l’articulation entreprises et citoyens ». Et, bien sûr, la présence du CISCA, créée en lien avec l’Institut Godin, « une pépite pour la transformation », estime-t-il.

Retour d’expérience

Rachid Cherfaoui revient ensuite sur l’historique de la MES. Arrivé en 1989 dans la communauté de communes du Pays de Bray – 16 000 habitants – Rachid s’est vite intéressé aux thématiques de l’insertion en tant que jeune entrepreneur. « J’ai appris la médiation territoriale, puis j’ai créé ma première entreprise d’insertion sur les espaces verts, puis une autre sur la formation, puis une autre sur les services à la personne… » se souvient-il.

En 2000, ces multiples expériences fonctionnent bien, « mais comment y mettre de l’ordre, et surtout mutualiser ? » se demande Rachid. « Je voulais faire en sorte de pouvoir facilement essaimer, et surtout entraîner l’écosystème : collectivités, sous-traitants, clients…  » au bénéfice de l’insertion et de la médiation territoriale.

La solution fut une société coopérative, une SCIC, rendue possible par une loi en 2001. « Dans une SCIC, chacun a un intérêt particulier d’aller vers un collectif, pour faire quelque chose de différent. », résume Rachid. En 2004, la MES est donc créée, « en faisant venir à nous les gens qui ont un bout de réponse sur l’insertion » soit autant Danone-Gervais que les petits artisans, la communauté de communes, les acteurs de l’ESS [Economie Sociale et Solidaire] …

Rachid résume ainsi la valeur ajoutée produite par la SCIC : « le partage du territoire, autrement dit : comment il peut nous fonder suffisamment pour monter des propositions communes, puisque chacun a fait l’effort de rejoindre [la SCIC] ».

Son objectif est alors de développer des activités économiques sur le territoire, transversales et accessibles notamment à des publics prioritaires. « On ne regarde par les manques, on développe des prototypes avec une dimension inclusion et insertion » insiste Rachid. « Et on travaille sur le souhaitable, avec un projet intitulé ‘Demain le pays de Bray’, articulé autour de cinq grands thèmes sociétaux et environnementaux. »

Les « prototypes » créés par la MES sont des entreprises dans plusieurs domaines, comme la construction bois, les recycleries, les services à la personne.

Le rôle de la recherche

A partir de l’expérience de Jean-Baptiste Godin, industriel du XVIIIème siècle qui fut le premier à mettre son économie personnelle au service d’une expérience territoriale et sociétale, Rachid a souhaité donner une dimension « recherche » à la dynamique de la MES. « Comment utiliser l’entreprise pour une expérience sociétale et locale, avec une base scientifique ? » se demande-t-il.

Les universités n’étant, selon lui, pas prêtes à se lancer dans ce type d’études, il a créé une structure ad hoc avec l’Institut Godin, organisme de recherche fondé en 2008. Son objet d’étude est la relation entre les échanges marchands, les échanges non marchands et la redistribution de richesses sur un territoire.

La clé, selon lui, est la coopération – qui s’apprend peu à peu sur un territoire – et le réinvestissement complet des bénéfices dans les projets. Pour attirer les entreprises, il faut donc des projets rentables au plan de l’impact territoriale, et permettant de relancer d’autres expérimentations en aval.

Les premiers PTCE

Au début des années 2010, les assises nationales de l’ESS font prendre conscience à Rachid que la même dynamique naissait ailleurs en France, dans le Jura, à Floranges, à Figeac… L’idée est venu, en lien avec l’Etat, de créer un dispositif appelé PTCE : Pôle Territorial de Coopération Economique. Rachid le détaille ainsi : « Pôle pour des gens incarnés et un lieu, Territorial pour un périmètre qu’on définit nous-mêmes, Coopération pour la mise en oeuvre collective et la volonté de faire ensemble, Economique parce que c’est le levier principal de changement. »

Pour résumer le facteur clé de succès de la coopération selon Rachid Cherfaoui, il s’agit « d’acter nos différences mais de vouloir construire ensemble quelque chose de nouveau et de partagé. Les parties prenantes d’un PTCE comme la Maison de l’Economie Solidaire peuvent être très différentes ! Mais on parvient à se réunir sur un territoire pour élaborer un prototype de solution… parce que nous partageons l’envie, et la confiance. »

Dans un PTCE, l’élu est un acteur parmi d’autres, au même titre qu’une grosse entreprise, qu’un artisan ou une association locale. « C’est la condition pour inventer quelque chose de différent, en collectif » martèle Rachid. « Et c’est dans ces espaces qu’on apportera les meilleures solutions pour le territoire ».

Son conseil pour notre territoire

Pour conclure, Rachid résume son propos en quelques conseils pratiques : « Ici, tout est en place. Focalisez-vous sur un ou deux projets pour commencer. Soyez modestes, au début ! Il faut apprendre à avoir confiance. » Selon lui, « on a toujours les ressources pour faire ce que l’on veut si les règles sont claires et partagées ».

Pour aller plus loin : l’entretien avec Rachid Cherfaoui sur Tikographie

Conclusion

Jean-Luc Berlot, président de Sens9, exhorte les participants à s’engager auprès de l’association qui ouvre ses adhésions en 2023 (tarifs TTC non soumis à la TVA):

  • TPE, PME : 100 € – adhésion générique pour la première année, accès à toute l’offre associative en 2023 – évolution prévue les années suivantes
  • ETI, grand groupe : 200 € – adhésion générique pour la première année, , accès à toute l’offre associative en 2023 – évolution prévue les années suivantes
  • Adhésion partenaires, réseaux amis : 150 €

Les adhésions sont nécessaires pour accéder aux clubs d’entreprises

Pour adhérer à Sens9, cliquez ici

Il invite également toutes les entreprises à participer à l’élaboration de prototypes concrets sur le territoire, notamment via la première réunion des Clubs Sens9 :

  • Club Chantier le 12 janvier 2023 à 18h, sur Clermont-Ferrand (lieu communiqué début janvier) – Il y sera question d’alimentation, d’énergie et de matériaux biosourcés
  • Club Communauté Apprenante le 2 mars 2023 à 18h, sur Clermont-Ferrand (lieu communiqué courant janvier) – Ce club sera l’occasion d’acquérir des connaissances en petit groupe et de partager des bonnes pratiques sur la responsabilité territoriale, sociale et environnementale de son organisation.
Pour vous inscrire au Club Chantier du 12 janvier, cliquez ici
Pour vous inscrire au Club Communauté Apprenante du 2 mars, cliquez ici

N’hésitez pas à contacter Sens9 pour en savoir plus.

Voir la galerie photo de la soirée (crédits Fanny Reynaud)